La route de la Soie

Sur les traces de Marco Polo et de Nasreddin Hoja

Le récit et autres petites choses trouvées au fond des poches


L’idée, c‘était de suivre les traces de Marco Polo. C’est-à-dire de prendre la route de la soie de Suisse jusqu’à Xi’an, en passant par Istanbul, Boukhara et Samarkand, puis de rentrer en train le plus rapidement possible avec le transmandchourien de Pékin à Moscou.

Notre première escale est à Bâle où il y a le Carnaval de Bâle. C’est le jour des Guggenmusikk, il y a déjà un parterre de confetti, on boit un café lutz, on mange un Knöpfli. C’est important de découvrir les autres cultures… Avant de rentrer à l’auberge de jeunesse, on tombe sur un masque abandonné. On l’embarque jusqu’à Münich où on avait rendez- vous avec un pote. Il nous le prendra lorsqu’il rentrera en Suisse. On boit une-deux bières. Et le grand départ approche.

Train de nuit jusqu’à Belgrade, 4 heures pour aller voir l’ancienne citadelle, puis re-train de nuit jusqu’à Thessalonique, 10 heures pour se promener au bord de la mer, puis retrain de nuit jusqu’à Istanbul.

Là c’est plus délicat puisqu’il faut qu’on arrive à acheter notre billet de train jusqu’à Téhéran. Le train hebdomadaire qui met une soixantaine d’heure pour arriver à destination. On y arrive, mais il y a visiblement un problème sur le trajet qu’on ne comprend pas. On verra, le train part dans trois jours, ce qui nous laisse le temps de flâner dans la ville.

Istanbul est vraiment magnifique, elle mérite ce surnom de ville aux mille et un minarets. C’est notre premier contact avec le monde musulman. On apprend à se comporter dans les mosquées, normalement ouvertes seulement aux musulmans. Attente dans la gare en espérant que quelque chose se passe. Finalement on découvre que le train est annulé entre Istanbul et Ankara, et remplacé par un bus qui part dans deux minutes à l’autre bout de la gare. Super.

À Ankara le train turc est là, et on part à l’heure. Après trente-six heures à traverser des magnifiques paysages, on arrive au lac Van. Le train s’arrête juste avant le bateau, et nous on embarque pour une traversée de six heures. À bord, on réussi à faire du change avec des Iraniens. On débarque de l’autre côté et le train iranien arrive, bondé. On ne trouve évidement pas nos places réservée, on s’enfile dans un autre compartiment et on se retrouve avec un Iranien un peu louche et très intégriste. On arrive à la frontière à la nuit tombante.

Tout le monde doit sortir du train, aller à la douane et se faire tamponner son passeport, puis peut remonter. Il y a une vingtaine de minutes entre la sortie de la Turquie et l’entrée en Iran. J’en profite pour mettre mon hidjab obligatoire. En effet, l’islam étant strict ici, les femmes, même étrangères, doivent se couvrir la tête, les pieds et les bras. Le gars dans notre compartiment est enthousiasmé par ma “transformation” et nous prend en photo pour montrer à sa femme. Je crois surtout que mon hidjab est plus strict que ceux que portent les Iraniennes et qu’il veut montrer à sa femme une nouvelle mode. Bref, il loue l’utilité du voile, de la femme à la cuisine. Il a deux passeports (un anglais et un iraniens), pas clair. Pas de problème pour nous à la douane, et on arrive le lendemain en soirée à Téhéran.

Première impression de la ville: une énorme cacophonie, sans règles établies. Normalement un gars de l’hôtel devait venir nous chercher à la gare, mais vu les deux heures de retard de notre train, il n’est pas là. Et bien sûr on ne sait pas où on est et où on va. Un gars à qui j’ai donné des centimes suisse pour sa collection nous arrête un taxi et lui dit le nom de notre hôtel. Ici ils parlent le perse, et utilisent l'alphabet en arabe. Autant dire qu’on ne peut ni communiquer ni lire quoi que ce soit.

Notre taxi roule à fond, à contresens, dépasse à droite, prend des raccourcis incroyables, et n’arrête pas de demander son chemin. On ne sait pas comment, mais on y arrive, et entier.

Téhéran est une grande ville de 14 millions d’habitants et ils ont tous eu leur permis dans une pochette-surprise. Il y a du bruit 24 heures sur 24. C’est infernal. Notre premier jour on le passe à chercher l’ambassade de Turkménistan pour récupérer notre visa qui devrait être prêt. Bien sûr ça n’est pas le cas. Et l’adresse n’était pas bonne. Il faut revenir avec tous les documents. Et on recommence toutes les démarches déjà entreprises au consulat à Paris. Et on perd trois heures à trouver une photocopieuse, heureusement nous avons un stock de photo-passeport. On a nos visas, dans l'après-midi.Maintenant ce qui est sûr, c’est qu’on connaît “leurs” règles de circulation, l’ambassade étant à une heure de voiture de notre hôtel.

On voulait sortir d’Iran avant le 21 mars car c’est le Nouvel An musulman (1387, je crois) et déjà le bazar est bondé. On se fait interpeller de part et d’autres pour qu’on achète n’importe quelles babioles, c’est très vivant.

On part vers Mashad, ville sainte où l’un des douze imans est dans un mausolée. C’est un lieu de pèlerinage très important et on est arrivé alors qu’il y avait une procession. À savoir des grands cortèges d’hommes imitant la flagellation avec des chaînes, chantant, ou tapant dans des cymbales. Et ils convergeaient tous vers le mausolée. Nous on ne savait pas exactement comment rentrer à l’intérieur de cet énorme complexe d'une grande beauté architecturale. Finalement un vigile nous informe qu’il faut attendre là, et une dame vient nous chercher. En plus, je ne pouvais pas rentrer, n’étant pas habillée conformément. Et j'ai du mettre une bourka, où on ne voit que le visage. Notre guide nous montre l’intérieur et nous fait visiter. Elle nous emmène surtout au bureau des relations extérieures où elle nous donne toute la documentation nécessaire pour expliquer cette religion et pour l’intégrer. De la vraie bonne propagande.

La suite, c'est en train jusqu’à un bled inconnu, Sarakhs. Le train s’arrête au bout des voies, mais il n’y a rien mis-à-part la gare. Tous les passagers se jettent dans des bus. On les suit. À un moment, une miss m’adresse la parole en anglais. Les questions sont toujours les même depuis notre entrée en Iran. D’où on vient? -de Suisse. -Woaouw. Et-ce qu’on est marié? - Oui (ce qui n’est pas vrai, mais ils ne le comprendraient pas). Est-ce qu’on a des enfants? - Non. -Quoi? -Non, on n'a pas d’enfants (ils sont passablement surpris) Où on va? -À la frontière du Turkménistan. Et là elle le dit dans tout le bus. Le chauffeur nous arrête un peu plus loin, nous indiquant qu’il faut aller là-bas tout droit et s’en va.

Il y a une route qui va effectivement tout droit mais qui paraît sans fin. On se met en marche. Une voiture s’arrête et nous propose de nous pousser jusqu’à la frontière, sympa. On arrive dans un no man’s land où beaucoup de gros camions routiers attendent. On marche jusqu’au bâtiment, on réveille les douaniers (c’est l’heure de la sieste, pas un bon point pour nous). Ils sont un peu surpris de voir des passeports suisses, ils les tournent dans tous les sens, les tamponnent, et nous saluent. On quitte l’Iran, à pieds, entre deux passages de camions, sur un pont métallique au-dessus d’une rivière asséchée. Juste après le pont, un gradé turkmène nous dit un “Welcome in Turkménistan” et sourit de toutes ses dents en or. Puis il me fait comprendre que eux ils sont un pays libre et que je peux enlever mon hidjab. Joie et libération, car c’est assez inconfortable, et très serré au niveau des oreilles et de la gorge.

Un bus vient nous chercher et nous amène jusqu’au bâtiment de la douane. Il y a déjà beaucoup de monde, mais les douaniers nous font dépasser la colonne, certainement pour donner une image positive du pays aux occidentaux que nous sommes. Les douaniers sont très sympas, et ils veulent tout savoir sur notre voyage et sur la Suisse. On se renseigne sur le prix du taxi d’ici jusqu’à la prochaine ville (environ 200 km) et on sort de l’enceinte de la douane où l’on est assailli par les gars des taxis. On négocie une heure pour baisser le prix d’un tiers seulement (mais trois fois plus élevé quand même que ce que le douanier nous avait dit). Après trois heures d’une route de nids de poules on arrive au milieu de la nuit dans une ville au plus pur style communiste, Mary. Il n’y a que deux hôtels.

Le Turkménistan est assez spécial. Le président récemment décédé a écrit un livre qui a la même valeur que le Coran et est enseigné dans toutes les écoles du pays. Il dit que c’est les Turkmènes qui sont les auteurs de toutes les grandes inventions, comme la roue. Il a rebaptisé les mois à son nom et, dans la capitale, il y a même une statue de lui en or qui tourne pour être toujours éclairée par le soleil. À Mary, là où l’on est, il a deux statues dans des parcs, tous les bâtiments officiels et les banques ont une énormes photo de l'ancien président sur leurs murs, tous les chauffeurs ont des petites images à son effigie, le personnel des transports publics a un petit pin’s de sa tête, bref, il est partout.

De Mary, on prend un bus jusqu’à Merv. De l'ancienne ville importante de la Route de la Soie, il n'en reste aujourd’hui qu’un immense désert où l’on découvre, ça et là, des murs, des anciennes mosquées, des lieux de prières, un troupeau de dromadaires et le mur de la forteresse entre autres. C’est un territoire énorme et il fait très chaud. Le sol est sablonneux et couverte d’une couche blanche, dure, qui n’a pas le goût du sel. C’est très bizarre.

On retourne à Mary pour prendre un train pour Turkmenabat, puis pour sortir du pays. On a un visa de cinq jours seulement car si on voulait prendre plus, un guide devait nous accompagner de l’entrée jusqu’à la sortie du pays, non-stop. C’est pour ça qu’on a un peu abrégé notre séjour en Turkménistan. Arrivée à Turkmènabat à trois heures du matin. On voulait dormir un peu à la gare, la douane n’ouvrant qu’à huit heures est distante d’une trentaine de kils. Mais un taxi nous propose un bon prix alors on y va. Le gars est finalement un peu louche, il veut qu’on paie d’avance, il roule lentement (ce qui est inhabituel), on s’est même retrouvé une fois dans un cul-de-sac. On leur fait comprendre qu’on est très fâché et tout va mieux. On arrive devant la barrière de l’entrée de la douane vers les quatre heures du matin. Ils s’en vont et on se retrouve seul au monde au milieu de nulle part. On rebrousse chemin, histoire de dépasser les ordures qui sont au bord de la route, et on se pose dans le sable, en contrebas, histoire de finir notre nuit. Vers huit heures, on se réveille avec le bruit des camions qui font la queue derrière les barrières et des taxis qui ne cessent de faire des allers-retours entre la ville et la barrière. On range nos sacs de couchage et l’on retourne sur la route. Le monde se retourne sur notre passage se demandant peut-être d’où l’on vient. On passe la barrière, entre dans le bureau des douanes, et la c’est la fouille intégrale. On doit vider nos trois sacs dans la bonne humeur. On part à pied dans l’entre-deux douane, il y a énormément de camions qui attendent. Beaucoup de turcs dont un qui nous invite à partager le thé. Très convivial. Arrivé à la douane, on attend avec toutes les autres personnes à pied qui sont également là. Le douanier derrière la barrière distribue de temps à autres les formulaires de déclaration. C’est en Turkmène, Ouzbek et Russe. Autant dire qu’on n’en pige rien. Un gars nous montre comment il faut le remplir, et le douanier nous fait dépasser tout le monde. On remplit encore des formulaires, puis petite fouille. Les douaniers sont sympas, on cause pas mal avec. Ensuite, il y a plein de monde qui attendent des taxis pour la prochaine ville à environ 10 km. Nous on aimerait aller à Boukhara, à une cinquantaine de kilomètres. Une dame nous aide à avoir un taxi. Je crois surtout qu’elle s’est arrangée pour qu’on le lui paie, et on arrive à destination vers midi.

La ville est splendide, du genre “mille et une nuits” où l'on verrais, surgi au coin d'une rue, Nasr Eddin Hodja, ce personnage mythique de la culture islamique. On recherchait un logement lorsqu’on s'est fait alpaguer par une dame nous proposant une chambre. Elle nous emmène dans une cour intérieure. Nous avons une grande chambre avec un matelas posé dans le fond, décoré à la “Ouzbek”, il y a des toilettes occidentales (quel bonheur.), et une douche (salle d’eau avec un samovar et une cuvette). C’est parfait. Et à deux pas du centre. La gare la plus proche se trouve à Kagan, à 15 kilomètres. On prend un marshmallow (en réalité ça s’appelle un marshrutnoe, mais c’est tellement compliqué à dire..., c’est un minibus où on s’entasse) L’employée de la gare ne comprend pas qu’on veut un billet de train pour Samarkand dans trois jours. De plus, elle ne parle que le russe et n’écrit qu’en cyrillique, alors que les Ouzbeks parlent l’ouzbek et écrivent en écriture romaine. Et ça fait depuis 1991 que l’Ouzbékistan n’est plus sous le joug soviétique. Même qu’on lui a tout écrit en cyrillique sur un papier. Heureusement qu’un gars vient, lit ce qu’on a marqué, et le dit à la miss qui comprend et nous fait notre billet...en première. Bon on a au moins notre billet, c’est toujours ça.

Boukhara était un important lieu commercial. Il y a énormément de belles vieilles maisons. Et des medersas, qui sont des écoles coraniques. Tout est magnifiquement décoré de faïences bleues, c’est très joli. On fait pas mal de connaissances, notamment des jeunes filles qui vendent des assiettes juste à côté de la place centrale, ou d'une vendeuse de tapis qui nous parle de Brice-de-Nice. Elles parlent français et c’est agréable de comprendre un peu leur mode de vie. L’Ouzbékistan est, paraît-il, une région viticole. On découvre un gars qui fait des dégustations. Huit vins d’un goût mûri au soleil, doux et très alcoolisés.

On va à la gare en mashmachin tôt le matin. Le train ne met que quelques heures, mais on nous a servi deux repas et du thé à volonté sans compter les barres de chocolat et les bonbons. Arrivée à Samarkand et recherche d’un mashmachin pour le centre. On trouve un B&B à côté du centre. Genre “lieu de rencontre de tous les vieux routards”, on ne fait pas mieux.

Samarkand est une grande ville avec beaucoup de belles choses comme à Boukhara mais bien plus espacé. Il y a une rue de mausolées, qu’on peut aussi joindre en passant par le cimetière, des mosquées à nous en mettre plein la vue tellement c’est beau, et des medersas. Il y a aussi un énorme marché-bazar On part tôt le matin pour Tashkent, la capitale. Mais là tout ne se passe pas super bien. Arrivée à 14 heures. La consigne à bagage est fermée par ce que c’est le premier de l’An. Et malgré les trois personnes à l’intérieur on ne peut pas déposer nos bagages, c’est “niet ...“ On se dépêche de trouver nos billets de train pour aller au Kazakhstan. Mais personne ne sait où se vendent les billets. On étais tout de même était aidé par un Ouzbek pur souche, rencontré dans le train. À 16 heures, on les a. Alors, avec nos sacs, on part à l’assaut de la ville.

Le train part à 23 heure. On partage notre compartiment avec deux russes. À 2 heures, arrivée à la douane de sortie d’Ouzbékistan. Les douaniers fouillent dans tous les recoins, nous prennent nos papiers et nous les rendent une demi-heure plus tard. Puis il nous manque un formulaire qui nous aurait été remis à l'entrée de l'Ouzbékistan. On sent venir les ennuis. Mais bon, les douaniers ne sont pas des imbéciles : ils laissent tomber. On repart. À trois heures, on arrive à la douane d’entrée du Kazakhstan. Et rebelote. Tout recommence, pas forcément dans le même ordre mais dans la même désorganisation. En plus le douanier veut escroquer les deux russes, il leurs trouve pleins de papiers imaginaires non-remplis et il faut payer une amende. Les russes ne démordent pas, tant mieux, et on part vers les 4 heures du matin.

Arrivée à Arys à 6heures, on est claqué. À peine descendu du train, deux flics nous sautent contre. “documents..“ ça commence bien ce pays. Arys est une petite ville. On essaie de trouver une banque pour changer de l’argent, et on trouve un bancomat. On achète nos billets de train pour Almaty-II. Comme il part en fin de journée, on profite de dormir un moment à la gare. C'est assez inconfortable, alors on va dormir dans le parc en face de la gare. Mais une bande de jeunes, intrigués, viennent nous poser des questions en kazakh, et s’exercent dans notre dos à les poser en anglais. C’est très drôle. Mais cette petite foule attire deux gars, se disant flics, nous demandant nos papiers. On leur demande “leurs papiers” et on se fout un peu de leur gueule éberluée. Deux autres policiers en uniformes viennent. On leur montre nos papiers. Ils nous disent qu’on ne peut pas rester là, dans le parc, parce que c’est dangereux. Ouais, ouais. Ils s’en vont. Comme les jeunes n’arrêtent pas de nous tourner autour et qu’on ne peut pas dormir, on retourne à la gare. On se pose sur un banc et on essaie de dormir, mais voilà qu’il y a deux autres flics qui se ramènent. “Papiers. Vous pouvez pas dormir-là”. Alors on se lève, faisons semblant de lire deux-trois trucs et dès qu’ils sont partis, on se recouche. Ils nous referont le coup quelques heures plus tard. Ras-le-bol. Le train arrive, va bien.

On est le lendemain à Almaty. C’est de là que part le train hebdomadaire pour la Chine. Après avoir trouvé un hôtel, on va à la recherche de nos billets de train. Mais la guichetière ne parle que le kazakh. On essaie de trouver une autre solution, ce qui n’est pas très probant. On croit tout de même qu’elle a compris ce qu’on veut, mais qu’elle ne peut pas nous vendre les billets pour une raison inconnue. On va tenter notre chance à l’autre gare de la ville, Almaty I. Las, c’est à Almaty-II qu’il faut aller. Elle nous renseigne tout de même sur la date de départ ainsi que l’heure. On retourne, et là, la dame nous sourit et nous passe le téléphone. Une dame qui parle anglais nous dit que pas de problème elle vient nous chercher à l’heure dite, soit une demi-heure avant le départ du train, à la gare. On achète alors le billet qui nous serons remis dans le train. Et on n’a même pas une quittance. Faut vraiment avoir confiance. Ce qui ne nous empêche pas de visiter la ville, de prendre le téléphérique pour aller voir le smog qui survole la ville entourée de monts à cinq mille mètres.

Le soir du départ, on attend impatiemment à la salle, pas de nouvelles. Dix minutes avant le départ, on s’excite un peu. On va vers le train pour embarquer. Là, une miss nous dit de venir avec elle à la gare. Ensuite, on nous conduit à la voiture 7. À la 7 on nous dit que c’est à la 5 et à la 5 on nous envoie à la 3, où on embarque à l’heure pile du départ. On a des billets dans les mains. Ils sont nominatifs, mais ce ne sont pas nos noms qui sont marqués dessus. On s’en fout. On est dedans. Le train part avec vingt minutes de retard.

Le jour d’après, c‘est le passage de la douane. Les kazakhs sont désorganisés. On met un temps fou. Et en plus, on doit changer les bogies du train car l’écartement des roues n’est pas le même en Chine que sur l’ancien réseau soviétique. Ils soulèvent les voitures, détachent tous les bogies du train et les enlèvent, puis en mettent d’autres, les rattachent, et redescendent les voitures. Puis la douane chinoise, et rebelote, ça prend du temps. On finit en fin de journée. Arrivée à Ürümqi le lendemain matin.

Au sortir de la gare, il y a au loin des énormes buildings et, devant nous, passe le croisement d’une autoroute. Tout est marqué avec les idéogrammes, même “hôtel” n'est pas dans notre langue. On est perdu. Des gens nous aident en nous indiquant un hôtel. On est sauvé. On mange avec des baguettes. On évite les crachats qui viennent de toute part. On est en Chine. C’est étonnant car on trouve des mosquées, mais c’est vrai que cette province est historiquement peuplée de musulmans.

Un jour, on prend le bus pour aller à Turfan. Ce village est situé dans une dépression, à - 156m, entouré d’une région aride et, plus loin, des monts du Tian Shan. En plus, c’est une région viticole. En visitant, et en coupant à travers vignes, on tombe sur une mosquée assez spéciale et très vieille.

On part d’Ürümqi pour Xi’an dans une voiture de couchettes-ouvertes. Malheureusement, on se trouve à côté de l’espace toilettes et lavabos, ce qui signifie lumière toute la nuit et raclage de la gorge pour tous les habitants de la voiture au petit matin. C’est charmant.

On arrive à Xi’an en milieu de soirée. Sur la place de la gare, deux “rabatteuses” nous emmène à leur hôtel. Cette ville a encore sa muraille autour, et non-loin, l’armée enterrée de terre cuite grandeur nature. C’est gigantesque. Par ailleurs, les villes chinoises ont des parcs très agréables où l’on peut se promener. Il y a toujours des chinois qui font du tai-chi, de la valse, de la musique, ou de la calligraphie à l’eau avec l’aide d’énormes pinceaux. Xi’an était le début de la Route de la Soie. C’est de là que partaient en caravane toutes les marchandises pour l’occident, et c’est là qu’arrivaient toutes celles pour l’orient.

Xi’an - Pékin en une nuit. À Pékin c’est presque plus simple parce qu’on est déjà venu, on sait où est le métro, comment faire pour acheter les billets, où se situe notre auberge. Il ne reste plus qu’à acheter nos billets du train hebdomadaire du retour, jusqu’à Moscou. Après quelques recherches à la gare, on se rend compte que les billets s’achètent à l’hôtel International. À une question qu’un chinois ne sait pas répondre, il préférera dire oui, ou indiquer une mauvaise direction, plutôt que d’avouer qu’il n’a aucune idée. Ce qui nous a pris toute la matinée. Mais on a finalement nos fameux sésames: 9000 kilomètres de train pendant 7 jours, 8 fuseaux-horaires, Pékin-Moscou en contournant la Mongolie, le Transmandchourien.

Libérés, on visite tranquillement la ville, allant au jardin botanique et autres parcs super- agréable. On mange des trucs bizarres aussi, comme cette salade d’algues qui sent la vase et ces trucs ressemblant à des tripes non-cuites. En rentrant à l’auberge, on voit trois chiens morts en train d’être tondus, pelés au chalumeau, et dépecés.

Le jour du grand départ arrive. On est dans un compartiment à quatre avec deux chinois. Un jeune qui lit toute la nuit avec sa lumière, et un plus vieux qui pue des pieds. Et on est plutôt tolérant. Pour ce trajet, on avait pris deux livres pour passer le temps. C’est le récit d’un voyage que Nicolas Bouvier, écrivain suisse, et Thierry Vernet, peintre suisse, ont fait dans les années 50. Ils sont partis en voiture de Suisse, descendu dans les Balkans, la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, et l’Inde. Le premier a écrit un roman, célèbre, “L’usage du monde”. Le second a envoyé des lettres quotidiennes a ses proches réunis aujourd’hui en un livre “Ecrire, peindre, chemin faisant”. C’est intéressant d’avoir le “beau” d‘un côté et le “chiant et monotone” de l’autre.

On arrive à la frontière sino-russe au petit matin. Les douaniers nous vérifient tous nos documents, nos bagages, toutes les cachettes dans le train (et il y’en a.) Une fois la voiture faite, on peut sortir. On trouve un gars qui fait du change, on liquide nos yuans. Ça nous fera quelques roubles en attendant mieux. À la frontière russe, après que nos documents aient été vérifiés, nous sommes foutus dehors du train pendant que les bogies sont changés. Tout est entouré de barbelés. Il neige.

On passe le magnifique lac Baïkal. À Slioudianka, pendant l'arrêt de deux minutes, une foule de femmes nous vendent de l’Omoul, poisson fumé du lac. On passe la borne nous indiquant la moitié du parcours. Les arrêts durent en général vingt minutes. Et il n’y a malheureusement rien à acheter sur le quai pour manger. Quand une babouchka tente de vendre quelque-chose, elle se fait chasser par un flic. De plus, on a plus assez d’argent. On passe l’obélisque nous indiquant l’Europe, dans les monts de l’Oural. On arrive à Moscou. Après avoir trouvé notre auberge, on se dépêche de trouver un bureau de change. On doit faire des provisions pour les prochaines 30 heures et souper ce soir. Et on n'a qu’une heure parce qu’après tout ferme. Il nous reste 500.- roubles et on espère pouvoir souper. Quand la facture arrive, c’est pile poil.

On part le lendemain dans le train qui nous emmène, via la Biélorussie, en Allemagne. Les douanes sont de mieux en mieux, tout se passe bien, c‘est organisé.

Arrivée à Berlin. On descend à l’Ouest pour le symbole. C'est la première année, depuis la dernière guerre mondiale, qu'un train en provenance de l'ex URSS poursuit sa route jusqu'à Berlin Zoologischer Garten, l'ancienne gare principale de Berlin ouest. On passe toute la journée à Berlin à flâner, à visiter le zoo, et autres. On prend même un bateau-trolleybus aujourd'hui inscrit comme monument historique. Avant de prendre notre dernier train international, pour Bâle, nous remettons nos estomacs en ordre de marche avec du poisson de la mer du nord !

Voilà la longue histoire de nos sept chouettes semaines de voyage.